28 novembre 2009

Livres d'Yves Chiron + livres autour de Charles Maurras

Yves Chiron a écrit quelques livres, disponibles en librairie. Ils peuvent aussi être commandés directement auprès de l'auteur, la liste en est disponible ici au format PDF. Les ouvrages qui ont fait l'objet de traductions sont signalés pour information, mais ces traductions ne sont pas disponibles auprès de l'auteur.

Il est proposé, par ailleurs, en premier lieu, des livres, neufs ou anciens, de Charles Maurras. Puis, des ouvrages sur Charles Maurras et sur l’Action française et des ouvrages d’auteurs de l’école d’Action française. Et, accessoirement, des ouvrages et revues sur divers sujets. Cette initiative n’est pas une entreprise commerciale. Tous les bénéfices contribuent au financement des Éditions BCM dans le cadre de l’Association Anthinéa. - En voici la liste au format PDF.

1 novembre 2009

Xavier Soleil - Mes Partis pris (deuxième série) - Préface de Samuel Martin

Vient de paraître:
Xavier Soleil - Mes Partis pris (deuxième série) - Préface de Samuel Martin

Autant de bibliothèques que de lettrés : une fois inventoriés les titres de la culture courante ; une fois définie la part des lectures propres à une génération ; une fois, en quelque sorte, circonscrits les communs, chaque bibliothèque est unique par son corps principal, ses ailes, ses greniers, ses débarras et son jardin d’été… Entrer dans une bibliothèque autre, c’est, derrière les aspects séduisants ou déroutants, c’est, intimidé ou à l’aise, découvrir un monde organisé autrement, des perspectives nouvelles et des points de vue différents.

La bibliothèque de Xavier Soleil, telle qu’elle apparaît dans les pages qui suivent, montre avec force que la littérature est liée à la Cité, à ses dimensions religieuses, politiques et sociales. Par ce lien qu’on oublie parfois à l’usage, ou qu’on minimise pour privilégier la littérature comme évasion, des noms se trouvent rapprochés : Balzac, Béhaine, Le Play ; Rebell, Benjamin, Maurras.
Que des auteurs connaissent un temps de purgatoire, que d’autres ne restent appréciés que par un premier cercle, situation normale dans le cadre de l’histoire de la littérature. Mais les quelques noms cités ci-dessus, en majorité obscurs, le sont non par le jeu du temps mais parce qu’ils ne sont pas admis dans le domaine de l’histoire littéraire officielle : ils restent sous le boisseau par incompatibilité politique avec le système dominant. Ecrivains « interdits » - Drumont -, écrivains délaissés par lâcheté et facilité - Barrès -, parce qu’ils ont pris parti dans bien autre chose que des disputes de chapelles littéraires : dans la querelle politique des Anciens et des Modernes, lors de l’Affaire, lors de l’Epuration, etc., ils habitent l’enfer où la Démocratie laïque et obligatoire les maintient.

Parler d’un écrivain qu’on apprécie sans communiquer l’envie de le lire, serait un échec. On se convaincra de la réussite de Xavier Soleil à transmettre ses goûts et ses idées en lisant les études rassemblées ici, qui suggèreront à chacun d’augmenter sa bibliothèque de quelques noms et titres.

Samuel Martin

Bon de commande

Mes Partis pris ( deuxième série)
26 euros (+ 3 euros de contribution aux frais de port).

Du même auteur, chez le même éditeur

Mes Partis pris (2007)
23 euros (+ 3 euros de participation aux frais de port)

Histoire d’une Société de René Béhaine, pages choisies présentées par Xavier Soleil avec une lettre de Michel Déon de l’Académie française
28 euros (+ 3 euros de participation aux frais de port).
----------
Commande à adresser aux Editions Nivoit - 5 rue du Berry - 36250 Niherne, en précisant ses nom, prénom, et adresse de livraison. Chèque à l’ordre des Editions Nivoit.

20 octobre 2009

[Maurrassiana n°12] Charles Maurras, la Contre-Révolution pour héritage

Charles Maurras, la Contre-Révolution pour héritage
Les impasses d’une étude universitaire - par Yves Chiron



Tony Kunter, né en 1983, a soutenu, en 2007, un master en histoire des idées politiques (ce qu’on appelait jadis un mémoire de maîtrise), à l’Université de Toulouse II le Mirail. Ce travail universitaire, consacré à Charles Maurras et à deux illustres représentants de la pensée contre-révolutionnaire au XIXe siècle : Louis de Bonald et Joseph de Maistre, fait l’objet d’un livre édité par une maison qui s’est illustrée par l’édition d’ouvrages de Maurras et d’auteurs maurrassiens et de plusieurs livres consacrés à l’histoire de l’Action Française [1].
Le vrai paradoxe est dans l’intention même du livre. L’auteur se défend d’avoir voulu rédiger un essai de philosophie politique. Il se veut épistémologue, dit vouloir s’être limité à « étudier la manière dont Charles Maurras a interprété les auteurs contre-révolutionnaires, en particulier Bonald et Maistre » (p.18).
Et pourtant, Tony Kunter n’est pas un chercheur éloigné de son objet d’étude. Son travail universitaire est aussi un livre de combat politique. Il collabore depuis plusieurs années à Action Française 2000. Dans son livre, il fait des références, inattendues et saugrenues, à l’actualité politicienne la plus immédiate : l’UMP, Bayrou, Alain Soral, Le Pen  (p. 19, p. 203). Et surtout, il conclut son étude en appelant de ses vœux une nouvelle philosophie politique. On voit mal d’ailleurs la cohérence qu’elle pourrait avoir puisqu’elle rejetterait « le système argumentatif maurrassien », devenu « inopérant », selon l’auteur, tout en initiant « un néomaurrassisme qui, certainement, n’aurait plus grand chose à avoir avec l’Action française historique » (p. 203).
Une thèse simpliste
Ce mémoire de master devenu un livre n’hésite pas à recourir à des formules balourdes, indignes d’un historien : après le voyage de Grèce, la monarchie serait devenue, pour Maurras, «  le système le plus rentable » (p. 136). Ailleurs, Maurras est décrit comme  « se rangeant derrière le comtisme » (p. 195), ou souhaitant « ”royaliser” les esprits en faisant de la publicité pour la monarchie » (p. 195).
Aux maladresses de style, Kunter ajoute une maîtrise incomplète des sources. Signalons, par exemple, l’article « Deux théoriciens de la Contre-Révolution », paru dans L’Action Française, le 1er juin 1904, p. 399-401. Kunter aurait pu le lire avec profit.
Si l’on en vient au fond de l’étude de Tony Kunter, on peut la résumer en quelques lignes. À l’égard de l’œuvre des deux plus illustres auteurs contre-révolutionnaires du XIXe siècle, Maistre et Bonald, Maurras aurait mené une opération, consciente, de « captation », d’ « instrumentalisation », de « récupération », de « reformatage », les mots sont répétés des dizaines de fois tout au long de l’ouvrage. Tony Kunter, pour donner une allure savante à son étude, se réfère aux travaux de Quentin Skinner, un des chefs de file du « contextualisme ».
Le contextualisme est une méthodologie historique, appliquée à l’histoire des idées politiques, qui consiste à scruter non pas tant les textes eux-mêmes que le contexte dans lequel ils ont été écrits et quelles étaient les intentions de leur auteur. Skinner a formulé ainsi les questions auxquelles aurait à répondre l’historien des idées : « qu’est-ce que l’auteur en écrivant à l’époque où il écrivait et compte tenu du public auquel il souhaitait s’adresser, pouvait, concrètement, avoir l’intention de communiquer en énonçant ce qu’il énonçait ? ».
Tony Kunter recourt à cette méthodologie historique, mais il le fait sans finesse. À défaut d’une démonstration convaincante, il multiplie les concepts synonymes, comme nous l’avons vu. Ce n’est pas d’abord une réflexion intellectuelle qui aurait conduit Maurras à cette « captation » d’héritage, mais la recherche d’une clientèle. Tony Kunter nous le répète, dans des formules simplistes ou grossières, selon les cas. Il martèle cette idée tout au long de son ouvrage : « l’imbrication du royalisme et du nationalisme devait permettre de rameuter les militants » (p. 187), Maurras « comprend que chaque référence correspond à un public, qu’il convient de récupérer au sein de l’entreprise d’Action française » (p. 194). Et encore : « différentes facettes des théocrates, véritables masques qu’emprunte Maurras et qu’il a lui-même modelés pour séduire des publics proches de ces autorités contre-révolutinnaires » (p. 194), « sa lecture du rouergat est toutefois négligeable, son ambition étant avant tout de s’approprier une figure emblématique de la Contre-Révolution » (p. 195).
La méthodologie de Skinner, que Kunter a tenté d’appliquer à Maurras dans ses lectures de Maistre et de Bonald, n’est pas suffisante, elle est même très réductrice. À privilégier le contexte, on risque de perdre de vue le texte. A contrario, les grandes œuvres gardent leur sens, même si l’on met de côté leur contexte, leurs conditions de production ; et c’est même à cela qu’on reconnaît les grands textes.
Des ignorances
On n’infligera pas à ce premier essai de Tony Kunter une correction ligne à ligne qui occuperait aisément plusieurs pages. On se demande néanmoins, comment un jury universitaire puis un éditeur ont pu laisser passer des aveux, aussi naïfs que ridicules, de non-lecture. À propos d’un article de Maurras : « nous ne connaissons pas la teneur de cet article pour n’y avoir guère eu accès. Même si nous l’avions lu, il aurait été hasardeux de se prononcer » (p. 65). À propos d’une conférence de Maurras à Chambéry, située en décembre 1940 : « nous n’avons pas retrouvé ce texte qui était probablement un discours-type présentant les positions officielles du mouvement lors de la mise en place du régime de Vichy et face aux conditions de l’armistice » (p. 127). La date est fausse – la conférence a eu lieu le 9 février 1941 – et, en cherchant un peu, Kunter aurait retrouvé, dans l’Action française du 16-17 février 1941, ce qu’a dit Maurras (et qui n’avait aucun rapport avec le « régime de Vichy »).
Faisant référence à mon étude sur Maurras et de Maistre, Kunter écrit : « Il n’existe pas à notre connaissance de texte où Maurras revient explicitement sur le maçonnisme de Maistre en le désapprouvant fermement. Un tel document ne doit pas être non plus connu de M. Chiron, car il n’en fait aucune mention » (p. 89). Non seulement un tel texte existe, mais je l’ai cité dans mon étude.
On ne relèvera encore, que pour mémoire, les concessions irraisonnées à l’historiquement correct que Kunter multiplie lorsqu’il évoque Maurras dans la période 1940-1944 : « Maurras se bat sur une ”ligne de crête” qui n’existe plus, ce qui le fait basculer, quoi qu’on en dise, dans le camp de l’Axe et de l’Occupant » (p. 182). Cette ligne de crête a été un « ailleurs irréaliste, fantasmagorie éveillée, bulle que seule la Libération fit éclater » (p. 199) et encore : Maurras a été, selon Kunter, « complice par procuration de l’aide que l’Etat français a fourni au système national-socialiste » (p. 205).
Passons sur ces vues, qui n’ont guère de rapport avec Maistre et Bonald. En revanche, comment un livre sur Maurras, et qui en conclusion s’interroge sur le « devenir » de l’héritage maurrassien, parvient à ne pas citer une seule fois le nom de Jean Madiran ni ses livres sur Maurras ? Et aussi, comment Tony Kunter peut-il ignorer les réflexions, plusieurs fois développées par Émile Poulat, sur la place, originale et objet de controverse, de Maurras et de l’Action Française dans l’ « immense massif, encore largement inexploré » que constituent le courant contre-révolutionnaire du XIXe siècle et « l’opposition catholique au monde moderne » ?

[1] Tony Kunter, Charles Maurras, la Contre-Révolution pour héritage, Nouvelles Éditions Latines, 208 pages.

31 juillet 2009

"Une opinion sur l’Action Française" (Berto) et "Pourquoi Pie XI a-t-il condamné l’Action française?" (Chiron/Poulat)

Vient de paraître :


----------

Abbé V.-A. Berto

Une opinion sur l’Action Française

L’abbé Victor Berto (1900-1968), docteur en philosophie et docteur en théologie fut tour à tour vicaire de paroisse, professeur de séminaire, fondateur d’œuvres pour l’enfance (les Foyers Notre-Dame de Joie) et de la fraternité des Dominicaines du Saint-Esprit. Il fut aussi un des fondateurs de La Pensée catholique et le théologien de Mgr Lefebvre au concile Vatican II. En avril 1968, il publia, dans Itinéraires, un important article, « Une opinion sur l’Action française ». Cette analyse catholique, trop peu connue, même des historiens de l’Action française, méritait d’être rééditée.

Éditions BCM, 26 pages, 5 euros
ISBN 978-2-918361-00-8


----------

Yves Chiron – Émile Poulat

Pourquoi Pie XI a-t-il condamné l’Action française ?

La condamnation de l’Action française, en 1926, a provoqué une crise majeure dans l’Église de France. Cette condamnation a été interprétée par Maurras et l’Action française comme une condamnation politique tandis que les libéraux et les démocrates-chrétiens y ont vu une légitimation de leur opposition au mouvement monarchiste. Yves Chiron, par une lecture critique, puis Émile Poulat, par une étude inédite et qui va aux principes, montrent ce qui était en cause : la sécularisation du politique.

Yves Chiron, directeur du Dictionnaire de biographie française, auteur d’une Vie de Maurras (1999) et de diverses études sur le fondateur de l’Action française. Il a publié aussi la biographie de plusieurs papes, notamment Pie XI (Perrin, 2004).

Émile Poulat, directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales. Il a publié plus d’une trentaine d’ouvrages, notamment Intégrisme et catholicisme intégral (1969), Une Église ébranlée. 1939-1978 (1980), L’Église, c’est un monde (1986), France chrétienne, France laïque avec Danièle Masson (2008).

Éditions BCM, 70 pages, 11 euros
ISBN 978-2-918361-01-5


----------

Pour commander « Une opinion sur l’Action française » (5 euros port compris) ou « Pourquoi Pie XII a-t-il condamné l’Action française ? » (11 euros port compris), adresser un chèque à « Association Anthinéa », 16 rue du Berry – 36250 NIHERNE – France, en précisant ses nom, prénom, adresse.

15 avril 2009

[Maurrassiana n°11] La condamnation de l’A.F. toujours en question - par Jean Madiran

Maurrassiana - Avril-Juin 2009 - 4èmeannée – n° 11

La condamnation de l’A.F.  toujours en question - par Jean Madiran - I.
Les Editions BCM (Bulletin Charles Maurras) ont publié au printemps deux opuscules qui renouvellent sensiblement l’état de la question concernant la « condamnation » de l’Action française par Pie XI en 1926 (condamnation levée par Pie XII en 1939).
• Renouvellement ? La pièce principale en est la publication en opuscule d’Une opinion sur l’Action française, vaste article de l’abbé Victor-Alain Berto paru dans la revue Itinéraires en… 1968 ! La nouveauté est pourtant réelle. Elle consiste en ce que cette importante contribution n’avait jusqu’ici nullement retenu l’attention de ceux qui monopolisent l‘état de la question, les auteurs d’ouvrages fort érudits, d’apparence universitaire, qui savent sur Maurras tout sauf ce qu’il faudrait savoir, les Huguenin, Prévotat, Giocanti, Prévost, etc., pour lesquels un travail paru dans la revue Itinéraires est par définition méprisable. Grâce à Yves Chiron et à Émile Poulat, l’abbé V.-A. Berto est enfin à sa place, au premier rang des témoins et commentateurs de l’affaire.
• L’ « opinion » exposée par l’abbé Berto rend justice à la fois aux motivations uniquement « religieuses » affirmées par Pie XI et aux libertés « politiques » réclamées avec raison par Maurras. Oui, la condamnation de l’Action française a bien été prononcée pour des raisons « religieuses », mais ces raisons religieuses n’étaient pas « doctrinales » (nous dirions aujourd’hui qu’elles étaient « pastorales »). C’est ce qui explique que Pie XII ait pu, au grand scandale des démocrates-chrétiens, lever la condamnation en 1939 sans qu’aucune rétractation doctrinale soit exigée.
• La thèse de l’abbé Berto, commentée par Yves Chiron et par Émile Poulat, est très convaincante dans l’ensemble. Un point cependant, me semble-t-il, demeure méconnu. Oui certes, les vraies raisons de Pie XI étaient religieuses mais non point doctrinales. Oui encore, Pie XI affirmait sa volonté sans expliquer ses raisons. Mais cela n’est vrai qu’à partir de décembre 1926 (et le restera jusqu’au bout). Auparavant il y avait eu, le 25 août, l’intervention fracassante du cardinal Andrieu et, le 5 septembre, son approbation publique et sans réserve par Pie XI.
• Si l’on considère l’intervention initiale du cardinal Andrieu comme une simple « maladresse » que Pie XI ne pouvait éviter d’ « assumer », on peut en effet tourner la page sur cet épisode regrettable et faire comme si le sérieux de l’affaire commençait seulement avec l’allocution consistoriale du 20 décembre 1926. Mais les accusations du Cardinal étaient énormes et terribles : l’Action française veut rétablir l’esclavage, elle supprime toute distinction entre le bien et le mal, elle est amorale, athée, anticatholique (etc.). Le Pape approuva cette énumération de griefs : « Votre Eminence énumère et condamne avec raison des manifestations d’un nouveau système religieux, moral et social… » Ne serait-ce point-là du doctrinal ? Mais un doctrinal tellement démesuré, déjanté, incroyable, que le Saint-Siège n’y est jamais revenu. Cependant scripta manent, quand ils n’ont pas été rétractés.
• Les accusations du cardinal Andrieu dont Pie XI approuva l’énumération n’étaient point des maladresses ni des exagérations, mais des contre-vérités et, pour parler exactement, d’atroces calomnies, des diffamationsassassines, qui n’ont pas été officiellement réitérées par la suite, mais qui n’ont pas été démenties non plus, c’est-à-dire qui n’ont pas été clairement rétractées (comme si les personnes qui composent la hiérarchie ecclésiastique n’étaient pas soumises à la loi naturelle). Ces calomnies doctrinales ont donc été continuellement professées telles quelles dans le clergé même après la levée de la condamnation par Pie XII : la preuve en est le cardinal Lustiger qui jusqu’à sa mort s’en est tenu aux accusations du cardinal Andrieu. Il dénonçait publiquement dans l’Action française, notamment en 1996 et en 1998, une « résurgence du paganisme le plus cynique et le plus dangereux ». Le plus cynique et le plus dangereux qui ait jamais existé !Bref, c’est toujours le « rétablir l’esclavage ». Or le cardinal Lustiger n’a pas été en cela une exception isolée, mais un relais et un chef de file.
Soixante-dix ans après la levée de la condamnation d’août-septembre 1926, ses effets nuisibles demeurent, par la volonté de ceux que Maurras a définitivement dénoncés comme, au sein de l’Eglise, de « cruels sectaires ».

II.
• La conséquence immédiate de la condamnation de l’Action française a été la domination idéologique, dans l’Église de France, d’une tendance « démocrate-chrétienne » fascinée par la modernité et tournée vers le dialogue avec la gauche socialo-communiste. À ses yeux Pie XII fut d’emblée suspect par sa levée de la condamnation, et cette suspicion fut plus tard confirmée par sa canonisation de saint Pie X. Sous cette influence directe ou indirecte, des personnalités ecclésiastiques ultérieurement appelées aux plus hautes charges ont pu faire leurs études, à Rome même, sous Pie XII, sans rien apercevoir d’autre, chez ce souverain pontife, que sa supposée partialité rétrograde.
• L’exemple du cardinal Lustiger, que j’ai cité hier, montre bien comment l’opinion ecclésiastique dominante, dès l’origine et jusqu’à maintenant, n’a rien retenu d’autre, dans la condamnation de l’Action française, que l’énumération des griefs épouvantables du cardinal Andrieu et l’approbation sans réserve, par Pie XI, de cette énumération. Dès lors, la levée de la condamnation par Pie XII paraissait forcément une regrettable, une scandaleuse et injuste faveur.
• La systématique suspicion démocrate-chrétienne s’était très vite étendue à tout ce qui semblait « proche » de l’Action française, c’est-à-dire en fait à l’ensemble des catholiques dits « de droite », ou plus exactement : « contre-révolutionnaires ». C’est ainsi que de grandes figures du catholicisme dans les domaines de l’art, de la littérature, de la philosophie, de l’action politique et sociale, n’ont pas reçu de l’épiscopat le soutien qu’elles méritaient, ou même ont vu leur influence marginalisée et leurs personnes ignorées ou méprisées dans les rangs du clergé diocésain et de l’Action catholique à partir de 1926-1927. Parmi les morts on peut citer notamment le général de Castelnau (1851-1944), Jean Lecour-Grandmaison (1883-1974), Henri Charlier (1883-1975), Henri Massis (1886-1970), André Charlier (1895-1971), La Varende et Pourrat (tous deux 1887-1959), Henri Rambaud (1899-1974), Luce Quenette (1904-1977), Louis Salleron (1905-1989), Marcel De Corte (1905-1994), Jean de Fabrègues (1906-1983), Alexis Curvers (1906-1992), Jean Ousset (1914-1994). Chacun d’eux mériterait toute une monographie sur la nature ou l’absence de ses rapports avec la hiérarchie ecclésiastique. Et je n’ai nommé là que des laïcs. Parmi les prêtres, on pourrait raconter le sort réservé au P. de Chivré, à l’abbé Berto, au P. Calmel, à l’abbé Raymond Dulac (etc.).
• Dans l’opuscule sur la condamnation (p. 46-48) et surtout dans son dernier livre Aux carrefours stratégiques de l’Église de France (p. 148-149), Émile Poulat distingue fortement deux écoles contre-révolutionnaires en France : la « contre-révolution politique de Joseph de Maistre à Charles Maurras », et ce qu’il appelle la « contre-révolution proprement catholique », dont l’origine est antérieure à Maurras : le P. de Clorivière, Louis Veuillot, Mgr de Ségur, le cardinal Pie. Ils sont loin d’être aussi oubliés aujourd’hui que le croit Poulat, mais bien sûr s’ils sont encore connus, et même étudiés, c’est surtout au sein de ce mouvement contre-révolutionnaire qui, observait René Rémond, n’a plus d’influence politique directe mais survit vigoureusement, disait-il, comme « école de pensée » catholique.
• « Au temps du cartel des gauches [à partir de 1924] comme vingt ans plus tôt au temps de la séparation [1905] », écrit Émile Poulat, il allait de soi que les autorités ecclésiastiques « préfère[nt] Maurras à Herriot ou Briand ». Mais « si on aime Maurras, on pense sans Maurras ». C’est bien possible. Il faut cependant compter aussi avec cette similitude d’esprit ou cette connivence intellectuelle entre « thomisme » et « maurrassisme » que dénoncèrent violemment démocrates-chrétiens et modernistes.
• La distinction et les différences justement indiquées par Poulat entre les deux courants contre-révolutionnaires sont allées s’atténuant, précisément dans et par l’Action française. Ils n’ont fait plus qu’un dans et par La Cité catholique de Jean Ousset. On s’en rend mal compte parce que c’est là l’une des graves déficiences des auteurs de la catégorie des Giocanti et des Huguenin : ils sous-estiment ou ils ignorent l’importance à la fois politique et religieuse de l’œuvre accomplie par Jean Ousset dans les années cinquante et soixante. La meilleure part sans doute en relève encore de ce que Balzac nommait l’envers de l’histoire contemporaine.
Jean MADIRAN
----------
Ce très pertinent commentaire de Jean Madiran est paru en deux articles, publiés dans le quotidien Présent (5 rue d’Amboise, 75002 Paris) les 31 juillet et 1er août 2009.
----------
Notes de lecture - par Yves Chiron
• François Marie ALGOUD, Le grand siècle de l’Action française, Éditions de Chiré (B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), 484 pages, 60 euros.
F.M. Algoud achève, par ce volume, sa trilogie consacrée à Maurras et à l’AF, qui a commencé à paraître en 2004. Il s’agit essentiellement d’un recueil des « Faits chronologiques marquants de son histoire et de celle de la France, de 1859 à nos jours ». Livre de mémoire plus que d’histoire, utile, avec un index des noms.
Lettres à Charles Maurras, Presses universitaires du Septentrion, 256 pages, 22 euros.
A. Callu et P. Gillet éditent les lettres envoyées à Maurras par certains de ses amis ou de ses proches. Ces correspondants sont classés par catégories : « les figures tutélaires » (Bainville, Montesquiou, Moreau, Vaugeois), « Les hommes de confiance » (de Vaulx, Schwerer), « Les intellectuels » (Brasillach, Maulnier), « Les ”bras armés” » (Pujo, Calzant, Lacour, Plateau, Real Del Sarte). Le classement est arbitraire, d’abord parce qu’il fait fi de la périodisation et du temps. Le compagnonnage, de plus de cinquante ans, entre Maurras et Pujo, n’est pas équivalant aux quelques années de relations directes entre Maurras et Brasillach. Certaines de ses lettres étaient déjà connues, d’autres sont inédites, tirées du Fonds Maurras aux Archives nationales. Les archives des correspondants auraient permis de préciser voire de corriger certaines affirmations, ainsi sur les conditions de la mobilisation de Maurice Pujo en 1915 qui furent le contraire de ce qui est dit.
• Guillaume GROS, Philippe Ariès. Un traditionaliste non-conformiste, Presses universitaires du Septentrion, 346 pages, 23 euros.
Il s’agit de la première biographie de Philippe Ariès, fondée sur ses écrits (dont on trouve une bibliographie exhaustive, y compris les articles), des archives diverses et des témoignages. Le sous-titre résume l’itinéraire d’Ariès : « de l’Action française à l’École des hautes études en sciences sociales ». Devenu un pionnier de l’histoire des mentalités et des sensibilités, Ariès a connu une évolution intellectuelle que Georges Laffly avait pointée avec une juste acribie dans Itinéraires (n°224, juin 1978, p. 150-156), lors de la parution de L’Homme devant la mort.
• AMICUS, Articles de politique religieuse, 1949-1952, Éditions CRC (10260 Saint-Parres-lès-Vaudes), 286 pages, 10 euros.
L’abbé Georges de Nantes a collaboré à Aspects de la France du 10 février 1949 au 20 juin 1952, sous le pseudonyme de Claude Seyssel puis d’Amicus. Il y tenait une chronique politique religieuse où Maurras reconnaissait une « doctrine » qui va « plus haut », qui prolonge « ce que les plus grands esprits qui nous ont porté quelque intérêt ont pensé et exprimé : Mgr de Cabrières, le cardinal Billot… ».
Les 117 articles rédigés par l’abbé de Nantes pour Aspects de la France sont publiés, y compris ceux qui avaient été refusés par l’hebdomadaire maurrassien.
Le Coup d’État, sous la dir. de Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, éditions François-Xavier de Guibert, 420 pages, 25 euros.
Résultat d’un colloque organisé en 2004 à l’Université de Caen, le volume contient des études diverses sur cette notion politique qui est aussi une réalité aussi vieille que l’histoire des institutions. Les idées de Maurras sur le sujet sont évoquées dans la communication de Christophe Boutin, « Coup d’État et contre-révolution » (p. 169-190). La célèbre brochure Si le coup de force est possible (1910) est longuement analysée mais il manque d’autres textes maurrassiens sur le sujet. Et surtout l’évocation historique du concept dans l’histoire de l’AF est trop rapide et se fonde principalement sur des auteurs qui ont rompu avec le mouvement (Bernanos, Rebatet, Bernanos) à cause de son supposé immobilisme. L’attitude de Maurras et de l’AF en février 1934 aurait dû être expliquée de manière plus développée (il y a matière à un petit livre).

11 janvier 2009

[Maurrassiana n°10] Du nouveau sur la condamnation de l’Action Française ? - par Yves Chiron

Maurrassiana - Janvier-Mars 2009 - IVe année - n° 10

[Maurrassiana] Du nouveau sur la condamnation de l’Action Française ? - par Yves Chiron

Philippe Prévost publie, sur la condamnation de l’Action Française en 1926, un gros livre de quelque 600 pages[1]. Venant après les quelque 750 pages de Jacques Prévotat[2], issues d’une thèse de doctorat, on pouvait se demander ce que Philippe Prévost était en mesure d’apporter de nouveau sur le sujet.

L’auteur reprend l’explication qu’avait donnée l’Action Française à l’époque : la condamnation par le Vatican, prétextant des motifs religieux, n’avait que des motifs politiques. Dans un de ses derniers chapitres, Philippe Prévost résume ainsi « les raisons réelles de la condamnation » : « une raison de politique intérieure : terminer le ralliement ; une raison de politique extérieure : obliger les catholiques à soutenir la politique de Briand, politique qui avait l’entier appui du Vatican » (p. 530).

Philippe Prévost déroule ses démonstrations en s’appuyant sur des sources nouvelles (certaines archives du Vatican, notamment) ou des sources qu’il présente comme nouvelles (le Diaire du P. de La Brière, déjà cité dans divers ouvrages et revues). La 4e de couverture du livre nous dit qu’il apporte « quantité de révélations ». Disons-le d’emblée, malgré l’apport de quelques pièces inédites et des éclairages nouveaux sur certains épisodes, Philippe Prévost n’arrive pas à convaincre complètement ou, plutôt, le plus souvent il interprète mal ce qu’il a trouvé ou ce qui était déjà bien connu.

Pie XI caricaturé

Avant d’aller au fond de la question, signalons diverses faiblesses de ce livre. La première, qui ne manquera pas de frapper le lecteur, est l’hostilité marquée, constante, à l’encontre de Pie XI. Une hostilité qui va jusqu’à la caricature, voire jusqu’au ridicule : le Pape aurait constitué avec les cardinaux Gasparri et Cerretti un « véritable tribunal révolutionnaire » pour condamner l’A.F. (p. 148). Pie XI est coupable d’un « viol des foules » (c’est le titre de la IIIe partie de l’ouvrage, p. 157). Il fait preuve d’un « délire répressif » (p. 204). Pie XI, comme Léon XIII, devraient être condamnés « non pas seulement pour crime contre la société civile, mais pour outrage envers Dieu » (p. 307).

Dans la même veine : « Pie XI a purement et simplement mis l’Evangile au service d’une politique, de sa politique » (p. 310), il a utilisé ses pouvoirs religieux « à des fins politiques, dévoyant ainsi totalement la religion » (id.). Philippe Prévost dénonce encore « un pape plus soucieux de politique que de religion » (p. 392), un pape « négligeant complètement le péché originel et l’enseignement de l’Eglise depuis le Christ » (p. 561).

Toutes ces formules, qui ne sont pas accidentelles, courent tout au long du livre. Elles sont indignes d’un historien et jettent la suspicion sur d’autres jugements et appréciations de l’auteur, qu’il s’agisse de son interprétation, complètement erronée, de ce qu’il appelle « le dogme du ralliement » ou de son analyse, très contestable, des positions de Pie XI en matière de politique étrangère.

Des sources incomplètes ou mal maîtrisées

Philippe Prévost avait déjà exploré les Archives du ministère des Affaires étrangères pour un précédent ouvrage sur le sujet[3]. Pour cette nouvelle étude, il a ajouté d’autres sources inédites : une petite partie des Archives du Saint-Siège sur le sujet et divers autres fonds, publics ou privés.

Cette exploration archivistique est méritoire, mais les archives ne suffisent pas si l’on ne maîtrise pas les sources imprimées, c’est-à-dire les études déjà réalisées sur les sujets qu’on étudie. Sur la condamnation de l’A.F., Philippe Prévost cite principalement la thèse de Jacques Prévotat, déjà mentionnée, et accessoirement deux tomes des Etudes maurrassiennes publiés en 1986. Il semble ne connaître aucun ouvrage de Jean Madiran sur Maurras. Il n’utilise ni ne cite le Bulletin Charles Maurras qui, dès son premier numéro, a publié des documents inédits sur la non-condamnation de 1914 et qui, ensuite, a abordé, à différentes reprises, la question de la condamnation de 1926 ; notamment en consacrant un dossier spécial à la thèse de Jacques Prévotat, avec, entre autres, une lumineuse étude d’Emile Poulat qui ne s’attardait pas, une énième fois, aux péripéties de l’affaire mais cherchait une compréhension plus profonde[4].

Philippe Prévost ne cite pas, même dans sa bibliographie, le numéro spécial que la revue Itinéraires avait consacré à Maurras en avril 1968, pour le centenaire de sa naissance. On ne peut tout lire et tout citer. Mais dans ce volume, réédité il y a quelques années[5], on lit, notamment, une analyse d’un très grand intérêt : « Une opinion sur l’Action française » par l’abbé Berto. L’abbé Berto n’était pas n’importe qui. Il avait été le disciple du P. Le Floch au Séminaire français de Rome. Il fut un théologien éminent, appelé comme tel au concile Vatican II par Mgr Lefebvre. Il est un éminent représentant de « l’esprit romain » (« un vétéran de la romanité » se définissait-il en 1968), ni maurrassien ni « intégriste »[6], mais assurément antilibéral et intransigeant.

Or, l’abbé Berto, dans l’étude citée, fait valoir que Pie XI a condamné l’A.F. « pour des motifs d’ordre spécifiquement, directement et immédiatement religieux » – on remarquera qu’il n’a pas dit « uniquement religieux », il n’a pas dit, non plus, « doctrinaux ». L’abbé Berto expliquait aussi : « Pie XI jugeait irrecevable la réduction de toute la science politique à n’être qu’une science empiriologique n’ayant avec la foi, la théologie et la morale catholique que des rapports extrinsèques, mais jouissant comme la physique ou la chimie d’une autonomie intrinsèque ».

Cette analyse des causes religieuses de la condamnation de l’A.F., Philippe Prévost ne la connaît pas, à moins qu’il n’arrive pas à en saisir la portée. Elle a été reprise, de nos jours, dans une approche plus didactique, par l’abbé Grégoire Celier ; Philippe Prévost semble l’ignorer aussi[7].

Sur Pie XI et son pontificat, les sources de Philippe Prévost sont d’une grande pauvreté. Il ne cite ni n’utilise aucune biographie de ce pape, française ou étrangère. Ce qui peut le conduire à écrire des erreurs. Par exemple : « Pie XI était étranger à la culture française » (p. 476). Or, avant qu’il ne soit pape, Mgr Ratti a séjourné à plusieurs reprises en France, pendant plus de vingt-cinq ans il a été aumônier des sœurs du Cénacle à Milan (dont un grand nombre étaient françaises) et il a publié certaines de ses études historiques directement en français.

Les sources de Philippe Prévost sur la politique étrangère de Pie XI sont d’une pauvreté affligeante : sur les rapports du Saint-Siège et de l’Allemagne nazie, par exemple, il ne cite qu’un ouvrage, révisionniste, sous pseudonyme, paru en Belgique en 1999. Philippe Prévost en vient à estimer que dans la célèbre encyclique contre le nazisme, Mit Brennender sorge (1937), « le racisme n’était condamné qu’avec de multiples précautions » (p. 408). Or, dans cette encyclique, Pie XI condamne fortement « le culte idolâtrique » de la race, « la vaine tentative d’emprisonner Dieu, le créateur de l’univers […] dans les frontières d’un seul peuple, dans l’étroitesse de la communauté de sang d’une seule race ».

On se demande parfois si Philippe Prévost a bien lu les textes de Pie XI qu’il évoque. Ainsi à propos des « associations cultuelles diocésaines », autorisées en France par l’encyclique Maximam Gravissimamque (18 janvier 1924), Philippe Prévost nous dit que cela « marquait la reconnaissance par l’Eglise de la loi de 1905 et par conséquent de la philosophie de cette loi à savoir que la religion devait se cantonner dans la sphère privée » (p. 89). Or, l’encyclique, si elle autorise la création des diocésaines comme un « remède destiné à éloigner des maux plus grands », réaffirme que la loi de séparation de l’Eglise et l’Etat de 1905 reste condamnée, rappel qui mécontentera le gouvernement français[8].

Enfin, dans l’utilisation des sources, on pourra reprocher à Philippe Prévost un manque d’esprit critique. Il prend pour agent comptant toutes les affirmations et analyses des diplomates français en poste à Rome, oubliant que ceux-ci ne sont pas des observateurs sans parti-pris et exactement informés, mais les représentants d’un gouvernement républicain qui défend ses intérêts.

Quand il s’agit de sources non-diplomatiques, le manque d’esprit critique amène parfois Philippe Prévost à accréditer des propos étranges. Ainsi, à deux reprises, à propos de Pie XII. En 1939, le Souverain Pontife aurait dit à l’abbé Lefèvre : « Je vous charge de remercier vos amis de leur courageuse résistance à une condamnation indue » (p. 529). Après guerre, il aurait dit à Edmond Michelet : « Si l’Action Française n’avait pas été condamnée, elle aurait constitué un rempart en face du nazisme et du communisme et cela aurait évité des millions de morts, le génocide des juifs et la domination par Staline de la moitié de l’Europe » (p. 555). Ces deux propos sont, pour le moins, étonnants et, le deuxième est d’une telle exagération qu’on peut douter de son authenticité. Les « témoins » ne sont pas infaillibles, ils peuvent amplifier, exagérer, déformer des propos entendus.

« Obliger les catholiques à soutenir la politique de Briand » ?

En voyant dans la politique étrangère de Pie XI une des causes de sa condamnation de l’A.F., Philippe Prévost reprend l’explication qu’avait donnée le mouvement monarchiste à l’époque. Le germanophile Pie XI aurait voulu, en condamnant l’A.F., écarter la principale force d’opposition à la politique étrangère d’Aristide Briand qui « avait été érigée en dogme au Vatican » (p. 339). Mais, quelques pages plus loin, l’auteur nous dit qu’il y a eu, longtemps, chez Pie XI une « volonté obstinée d’abaisser la France au profit de l’Allemagne » (p. 392).

Comment le Pape aurait-il pu concilier ces deux objectifs : soutenir la politique, pacifiste et européiste, de Briand et « abaisser la France » ? À moins de considérer que la politique de Briand consistait à « abaisser la France »...

En fait, le premier acte de la condamnation de l’A.F. – la lettre du cardinal Andrieu – a été porté sans que le gouvernement français en ait été informé et le « réquisitoire de Bordeaux » ne porte en rien sur des questions de politique étrangère. Pie XI, dans ses interventions ultérieures, ne les évoquera pas non plus.

Certes, Pie XI a cru possible, dans les années d’après-guerre, de construire une Europe nouvelle et il a pu croire, à un moment, que la politique menée par Briand pouvait contribuer à cette construction. Mais le pape n’a pas mené une « politique » pro-allemande, ou anti-française, ou pro-italienne.

Philippe Prévost nous dit que Pie XI, en matière de politique étrangère, comme dans la question de l’Action Française, « a confondu politique et religion » (p. 554). Comme si, pour un Pape, les deux domaines étaient indépendants. Pie XI, comme tous les papes avant et après lui, a mené une politique religieuse, c’est-à-dire une action publique qui avait des finalités religieuses. Sa première encyclique, Ubi arcano Dei (1923), programmatique de son pontificat, est consacrée aux moyens d’établir « La paix du Christ dans le Règne du Christ » : « La véritable paix ne peut venir que du Christ et de son Eglise. Il faut rétablir “le Règne du Christ“ dans la famille, à l’école, dans la société ».

Un fin connaisseur de Pie XI a fait remarquer : « Les positions de Pie XI, se voulant universelles et éthiques [on pourrait dire, plutôt, religieuses], l’ont conduit à des politiques diverses. Le jugement de l’historiographie n’est donc pas toujours serein, se plaçant justement dans des perspectives nationales.[9] »

Certes, Pie XI n’a pas été infaillible dans ses analyses de politique étrangère. Il s’est fait des illusions sur les bienfaits de la politique de Briand, mais pas au point qu’elle mérita qu’on lui sacrifie l’Action française. Il n’y a pas de lien direct entre la politique européenne de Pie XI et la condamnation de l’Action Française. Et Pie XI est revenu, assez vite, de ses engouements pour la politique de Briand. Il le dit publiquement dès février 1934 (entretien accordé à L’Intransigeant le 2 février et allocution du 13 février). Le 13 février, il a des mots sévères pour une « paix faite de paroles, de discussions, de va-et-vient, de conférences inutiles qui finissent toujours pas de nouveaux désaccords réciproques et de nouveaux éloignements. »

Le « dogme du Ralliement » ?

Philippe Prévost voit dans la volonté d’un second Ralliement – venant après celui de Léon XIII – l’autre raison de la condamnation de l’Action française. Cette fois, on peut considérer qu’il a bien cerné la volonté de Pie XI, mais il lui donne un sens faussé.

Philippe Prévost qualifie, de manière répétée, ce ralliement (en deux étapes) de « dogme » : « Léon XIII, en faussant saint Paul, inventa un nouveau dogme, le dogme du ralliement » (p. 24). Il définit ce « dogme longuement mûri » comme « ”une adhésion fondamentale“ à un régime qui se proclamait laïc, scientiste, naturaliste, héritier de la Révolution française et donc par essence antichrétien » (p. 534).

Le mot « dogme » est malheureux et le contresens sur le ralliement est total. Une telle définition travestit le sens du ralliement voulu par Léon XIII et poursuivi par Pie XI. Le ralliement de Pie XI – si on veut conserver le mot – n’est certainement pas la volonté d’obliger les catholiques à n’accepter que la forme républicaine de gouvernement (Pie XI dit même le contraire dans sa lettre au cardinal Andrieu). C’est la volonté d’entretenir de bonnes relations avec la France républicaine, comme le Pape a essayé d’entretenir de bonnes relations avec l’Italie fasciste, l’Allemagne nazie, l’Espagne républicaine ; non par approbation des idéologies de ces régimes (républicain, fasciste, nazi) mais pour préserver ou accroître les possibilités d’action et d’expression de l’Eglise. La finalité du ralliement, de Léon XIII à Pie XI, était bien religieuse.

En lien direct avec cet objectif, Pie XI, en condamnant l’Action française, poursuit un dessein vaste et ambitieux : unifier les catholiques par « tout un ensemble d’organisations, de programmes et d’œuvres » menés par des laïcs sous l’autorité des évêques (l’expression et l’idée se trouvent dans la première encyclique, déjà citée). La condamnation de l’A.F. a été un des moyens employés pour atteindre cet objectif, comme l’appui donné à la Fédération Nationale Catholique du général Castelnau et, de manière plus générale, à l’Action Catholique.

Ce qui est en cause dans cette dramatique affaire de la condamnation de l’AF, ce n’est pas la fin – les raisons en sont bien religieuses –, mais les moyens qui ont scandalisé beaucoup, y compris dans la hiérarchie ecclésiastique.

Pour terminer cette lecture critique du livre de Philippe Prévost par une note positive. Il a démêlé, avec un certain bonheur, deux dossiers polémiques : l’affaire Cerretti en 1926[10] et l’affaire Maglione en 1932. Il insiste avec raison, après d’autres, sur l’absence regrettable d’un exposé des motifs religieux de la condamnation par Pie XI. Ses pages sur la levée de condamnation du journal en 1939, par Pie XII, montrent bien qu’il n’y avait pas de motivation doctrinale à la condamnation. Mais, avec l’abbé Berto, on doit maintenir qu’il y avait bien eu, chez Pie XI, au départ, une motivation directement religieuse.

Yves Chiron


Maurrassiana, bulletin édité par l’Association Anthinéa 16, rue du Berry – 36250 Niherne

Le numéro : 2,50 euros. Abonnement d’un an (4 numéros) : 10 euros. Abonnement étranger : 15 euros.

Directeur de la publication : Yves Chiron. ISSN : 1952-8841. Dépôt légal : 1e trimestre 2009


[1] Philippe Prévost, Autopsie d’une crise politico-religieuse. La condamnation de l’Action Française. 1926-1939, Librairie canadienne (29 rue de la Parcheminerie, 75005 Paris), 597 pages, 20 euros.

[2] Jacques Prévotat, Les Catholiques et l’Action française. Histoire d’une condamnation. 1899-1939, Fayard, 2001.

[3] La condamnation de l’Action française vue à travers les archives du ministère des Affaires étrangères, Librairie canadienne, 1997.

[4] Émile Poulat, « Saint-Siège, Sillon et Action française », Bulletin Charles Maurras, n° 12, oct-déc. 2001, p. 6-16.

[5] Lorsque Maurras eut les cent ans, Editions BCM, 2002. L’étude de l’abbé Berto couvre les pages 77 à 92.

[6] Quand il évoque le cas du P. Le Floch, Philippe Prévost le qualifie très abusivement d’ « intégriste » (p. 279), méconnaissant la spécificité de « l’esprit romain ». Quand il évoque les épisodes qui ont contraint le P. Le Floch à démissionner, Philippe Prévost, faute d’avoir consulté les abondantes archives de l’ancien supérieur du Séminaire français de Rome, lui donne imprudemment tort dans l’affaire du P. Keller.

[7] Grégoire Celier, « Une opinion sur Charles Maurras et le devoir d’être catholique », Cahier de Chiré, n° 5, 1990 ; étude publiée à nouveau, dans une version corrigée, dans le Bulletin Charles Maurras, n° 9, janvier-mars 2001.

[8] Comment Philippe Prévost peut-il ignorer le dossier documentaire exhaustif (182 pièces, presque toutes inédites, et XI annexes) publié par Emile Poulat, Les Diocésaines, La Documentation française, 2007 ? E. Poulat résume ainsi la situation : « Il n’était pas question, en France, de revenir sur la séparation de 1905, et pas davantage pour le Saint-Siège, dans ces conditions, de lever sa condamnation. Quatre années de négociations diplomatiques permirent cependant de trouver ce qu’on a appelé un modus vivendi » (p. 558).

[9] Marc Agostino, « Les nations et Pie XI : le bon grain et l’ivraie », in Nations et Saint-Siège au XXe siècle, Fayard, 2003, p. 47.

[10] Mais, comme souvent, P. Prévost va au-delà de ce que disent les documents. Dans l’affaire Cerretti-Lepercq, Pie XI, la nonciature et le ministère de l’Intérieur auraient été complices (p. 183-185). L’accusation est grave et, à mon avis, infondée.

27 novembre 2008

[Maurrassiana n°9] Henri Lemoine, Charles Maurras et le carlisme - par Yves Chiron

Maurrassiana - Octobre-Décembre 2008 - 3ème année – n° 9
La querelle dynastique survenue en Espagne après la mort de Ferdinand VII (1833) a intéressé la presse française parce que la France avait connu, par la révolution de 1830, une situation très proche : le roi légitime, Charles X, avait été contraint d’abdiquer et la branche cadette, en la personne de Louis-Philippe d’Orléans, avait accédé au trône. La querelle dynastique entre « légitimistes » et « orléanistes » durera jusqu’à la mort du représentant de la branche aînée des Bourbons, le comte de Chambord, en 1883. L’opposition entre légitimistes et orléanistes français ne recouvrait pas qu’une querelle dynastique, mais correspondait aussi à une vision différente de ce qu’est la monarchie. À la conception légitimiste de la monarchie — une monarchie traditionnelle, chrétienne et organique — s’opposait la conception orléaniste : une monarchie qui acceptait certains acquis de la Révolution de 1789 et une pratique pragmatique du pouvoir.
La guerre qui a opposé les partisans de la reine Isabelle, fille de Ferdinand VII qui n’avait que trois ans, au prétendant Don Carlos, frère de Ferdinand VII, a intéressé aussi l’opinion publique parce que la France a pris parti dans la première guerre carliste. Louis-Philippe a apporté son soutien à la Régente, mère d’Isabelle, contre Don Carlos. En 1835, il a envoyé un corps expéditionnaire de 4.000 hommes, sous le commandement du général Degrelle. Les troupes françaises combattront les troupes carlistes jusqu’en 1837.
Pourtant, comme l’a remarqué un des rares historiens français du carlisme, « la bibliographie française sur le carlisme est peu abondante. […] elle ne comporte aucun ouvrage de large portée »[1].
On peut signaler quand même quelques ouvrages contemporains de la première guerre carliste (1833-1840).
Cette première guerre n’est pas terminée qu’un Français évoque, dans un récit épique, la mort héroïque du chef carliste, Don Tomas Zumalacarregui : Alexis Sabatier, « Tio Tomas ». Souvenirs d’un soldat de Charles V (Bordeaux, 1836). L’ouvrage n’est pas anodin parce que Sabatier a fait partie de ces quelques centaines de légitimistes français qui ont rejoint l’Espagne pour combattre aux côtés des carlistes.
On signalera encore le vicomte Alphonse de Barrès Du Molard qui a publié des Mémoires sur la guerre de Navarre et des provinces basques, depuis son origine en 1833, jusqu’au traité de Bergara en 1839 (Paris, 1842). De Barrès a été, lui aussi, parmi les volontaires français aux côtés des carlistes.
Enfin, Victor Doublet, auteur de romans populaires, publiera une Vie de S.M. don Carlos V de Bourbon, roi d’Espagne (Bourges, 1841) dont le titre dit, de lui-même, dans quel camp l’auteur se rangeait.
Henri Lemoine
Dans les derniers temps de la troisième et dernière guerre carliste (1872-1876), un légitimiste français, Henri Lemoine – il était avocat et rédacteur en chef du Courrier de la Dordogne – va multiplier les brochures pour défendre le carlisme. Il le fait au regard du droit dynastique et en fonction des principes.
Après l’intermède de la Première république espagnole (1868-1874), la monarchie avait été rétablie en faveur d’Alphonse XII grâce au pronunciamento de Martinez Campos, le 29 décembre 1874. Cette restauration, en faveur de la branche qu’ils jugeaient illégitime, semblait sonner le glas des carlistes.
Quelques mois plus tard, Henri Lemoine publie Don Carlos, roi légitime (Paris, 1875). Il explique que Don Carlos (« Charles VII »), est le roi légitime de l’Espagne « en vertu de la constitution fondamentale du royaume » ; tandis qu’Alphonse XIII ne tient son pouvoir que du « succès d’un pronunciamento » et par « la seule espérance du parti libéral de faire à sa guise la révolution en Espagne »[2].
Henri Lemoine fait l’éloge de la loi de succession espagnole, approuvée par les Cortès en 1713, et il la qualifie de loi de « succession quasi-salique ». Il estime que Ferdinand VII, en n’appliquant pas l’antique tradition successorale, « a sacrifié le bonheur de l’Espagne à son aveugle tendresse pour sa fille, pour sa quatrième femme et pour sa mère. Trois femmes l’ont emporté sur l’intérêt de la patrie »[3]. Les droits de Don Carlos « ont été violés » et en lui « s’incarne la patrie sacrifiée ».
Victor Gay, qui analysait « La pragmatique de 1789 » dans le même ouvrage, estimait quant à lui : « Les libéraux détestaient dans Don Carlos son attachement à la religion catholique, et son respect pour les vieilles franchises espagnoles. Ils ont abusé de la faiblesse et de la maladie du roi (Ferdinand VII), pour lui arracher une promesse contraire aux intérêts du royaume »[4].
Ces analyses mêlaient considérations juridiques (dynastiques) et jugement politique. Un an plus tard, Henri Lemoine publie un autre opuscule pour montrer que légitimistes français et carlistes espagnols combattent au nom des mêmes principes[5].
La dernière guerre carliste avait pris fin depuis peu, le 28 février 1876. La « brochure de propagande », à « 5 centimes l’exemplaire », de Lemoine défendait la cause carliste et, surtout, visait à montrer aux légitimistes français que cette cause est identique à la leur.
« Nous sommes légitimistes pas principe, nous sommes carlistes par principe » écrit-il. Lemoine refuse l’abandon des principes. C’est l’abandon des principes, écrit-il, « qui a rouvert en 1830 l’ère des révolutions, qui a permis à certains esprits de se rallier, sans scrupule à tous les gouvernements »[6]. Dans un propos qui rappelle les déclarations du comte de Chambord, Henri Lemoine écrit : « Seuls les principes peuvent sauver les nations »[7].
La défense des principes peut amener à prendre les armes pour s’opposer à un pouvoir illégitime : « il y a des cas où la prise d’armes est un devoir »[8]. En défendant les principes dynastiques, Don Carlos a défendu l’Espagne-même. « C’est contre une suite de gouvernements révolutionnaires que Charles VII a défendu la nationalité espagnole »[9] ; l’alphonsisme n’est qu’une « forme nouvelle de la Révolution »[10].
Henri Lemoine compare les combattants des guerres carlistes aux combattants vendéens et chouans qui, à l’époque de la Révolution française, ont pris les armes pour défendre Dieu et le Roi. Il écrit : « L’éternel honneur de la France sera d’avoir eu des combats de géants pour Dieu et le Roi ; et les Vendéens, qui se révoltèrent contre la Convention, pouvoir parfaitement légal dans le sens qu’on donne à ce mot au point de vue des faits accomplis, resteront des héros et des martyrs de la foi catholique et royaliste. »
La similitude entre carlisme espagnol et légitimisme français provient de l’identité des principes qui animaient les deux révoltes.
Maurras, l’Espagne et le carlisme
Une génération plus tard, Charles Maurras, regardera l’Espagne avec sympathie, comme une « sœur latine », espérant « la renaissance de cette grande et noble nation espagnole dont nous avons toujours désiré l’amitié »[11].
La vision maurrassienne de la monarchie correspond tout à fait à celle des carlistes. Maurras l’a définie en une formule devenue célèbre : une monarchie « héréditaire et traditionnelle, antiparlementaire et décentralisée ». L’hérédité est le pivot, et pour ainsi dire la condition, des autres caractéristiques de la monarchie.
Dans le fameux « Discours préliminaire » de son Enquête sur la monarchie, Maurras définit la démocratie comme foncièrement anti-héréditaire : « La loi de la démocratie est d’exclure l’hérédité ; elle se déclare le gouvernement du plus grand nombre : tantôt césarienne ou plébiscitaire, elle est le gouvernement du chef unique élu par ce nombre ; tantôt, républicaine, elle veut être le gouvernement de tous par tous, et elle est en réalité le gouvernement de plusieurs que le nombre est censé avoir choisis. »
La monarchie, elle, vaut d’abord par le principe d’hérédité : « la restauration de la royauté légitime vaut par la promesse d’autorité indépendante, faiseuse d’ordre et de paix, qui est contenue dans la loi qui transmet la souveraineté de mâle en mâle par ordre de primogéniture. Il n’y a presque point d’outrance à dire comme le faisait l’un de nous à des royalistes portugais et hongrois : — Qu’est-ce que la royauté ? L’hérédité de la couronne. Qu’est-ce que l’hérédité ? La loi de succession.[12] »
Pour Maurras, depuis la mort, sans héritier, du comte de Chambord, en 1883, la question dynastique était réglée en France. La famille d’Orléans était devenue la Maison de France et Maurras s’est mis au service des prétendants successifs appartenant à cette branche cadette des Bourbon : Philippe VIII, duc d’Orléans ; Jean III, duc de Guise ; Henri VI, comte de Paris.
Maurras se garda de prendre parti publiquement dans la querelle dynastique espagnole. Mais il était trop intéressé par l’Histoire pour ne pas mesurer l’importance du principe incarné par Don Carlos. Il l’a écrit alors qu’Alphonse XIII régnait encore : « dans cette Espagne où le droit de Castille, le droit indigène, fonde la succession en ligne féminine, qui donc fut pendant très longtemps l’unique champion des traditions les plus anciennes et les plus chères du pays, de ses fueros sacrés ? Ce fut l’héritier de la loi salique, le tenant du droit bourbonien ! Ce fut don Carlos ! »[13].
Maurras jugeait sévèrement la monarchie qui, entre les deux républiques, avait été restaurée. Il estimait que durant les règnes d’Alphonse XII (déc. 1874-1885) et d’Alphonse XIII (1886-1931) « la pauvre Espagne » a été « la victime claire et certaine » d’un régime « dit libéral, en réalité parlementaire », imité de la monarchie anglaise où le roi règne mais ne gouverne pas[14].
Pourtant, après la révolution de 1931 et l’instauration de la Seconde République espagnole, Maurras plaidera pour le rétablissement de la monarchie en Espagne : « Une Monarchie, seule, est capable d’entreprendre la grande œuvre de restauration de l’Espagne.[15] »
Lors de la guerre civile qui déchira, de façon si sanglante, l’Espagne — entre 1936 et 1939 —, Maurras se rangea d’emblée aux côtés des nationalistes. En 1938, il se rendit en Espagne pour saluer Franco et son combat national contre la Révolution ; c’est, dit-il, le combat de « la civilisation occidentale contre l’anarchie et la barbarie » [16].
Dès cette époque, il espérait que le Caudillo serait le restaurateur de la monarchie en Espagne, comme le fut, en Angleterre, le général Monk, en 1660, après la première révolution anglaise.
Après la mort d’Alfonso Carlos (le 29 septembre 1936), sans descendance mâle directe, la question dynastique en Espagne semblait pouvoir trouver une solution. A quelques semaines de la victoire nationaliste, Maurras espérait une réconciliation entre carlistes et alphonsistes : « l’avenue des bons succès nous semble ouverte par la réconciliation des Carlistes et des Alphonsistes : le droit de Castille et le droit de Bourbon, incarnés au même infant, les conditions politiques semblent d’accord avec la circonstance juridique pour élever, suivant une vieille définition de notre Enquête sur la monarchie, un prince héréditaire, supérieur aux assemblées, mais auprès duquel des assemblées représenteraient les vœux du pays, et qu’on nommerait ainsi un “César avec des fueros“, soit un César sans césarisme, — chef national ne partageant avec personne son autorité, mais dont l’autorité rencontrerait sa limite naturelle dans les “forts“ ou les droits du pays.[17] »
Charles Maurras ne pouvait imaginer que Franco retarderait tant la restauration de la monarchie. Il lui paraissait « exclu » qu’après tant de crises au XIXe et dans le premier tiers du XXe siècle, l’Espagne renoue avec une monarchie de « régime dit libéral, en réalité parlementaire »[18]. C’est pourtant ce qui se passera en 1975.
---------------

[1] Joseph Zabalo, Le carlisme. La contre-révolution en Espagne, Biarritz, J & D Editions, 1993, p. 227.
[2] Id., p. 5.
[3] Ibid., p. 12.
[4] Ibid., p. 21.
[5] Henri Lemoine, Légitimistes et carlistes, Paris, 1876.
[6] Id., p. 4.
[7] Ibid., p. 6.
[8] Ibid., p. 9.
[9] Ibid., p. 11-12.
[10] Ibid., p. 14.
[11] Action française, 19 février 1939.
[12] Charles Maurras, Enquête sur la monarchie, N.L.N., 1924 (éd. définitive), p. LXXXV.
[13] Action Française, 22 janvier 1910, repris dans Dictionnaire politique et critique, Paris, A. Fayard, 1933, t. V, p. 81 (art. « Roi »).
[14] Action française, 19 février 1939.
[15] Action Française, 19 février 1939.
[16] Il racontera ce voyage et les conclusions qu’il en a tirées dans un livre : Vers l’Espagne de Franco, Paris, 1943.
[17] Action Française, 19 février 1939.
[18] Id.

1 août 2008

[Maurrassiana n°7-8] Maurras, Drumont, Thiébaud et le suffrage universel - par Yves Chiron

paru dans MAURRASSIANA d'avril-septembre 2008 – n°7-8
À partir du 19 novembre 1902 et jusqu’au 23 janvier 1903, Charles Maurras a publié, dans La Libre Parole, six « Lettres à Edouard Drumont ». Après les espoirs et les échecs des nationalistes entre la fin des années 1880 et les dernières années 1890 (le boulangisme, la tentative improvisée de coup d’Etat militaire par Déroulède), le directeur de la Libre Parole avait lancé aux nationalistes une question publique : « Que faire ? ».
Maurras n’avait pas attendu la question publique de Drumont pour s’interroger. C’est deux ans auparavant qu’il avait commencé à publier, dans la Gazette de France, sa célèbre « Enquête sur la monarchie ».
En intervenant dans le journal de Drumont, Maurras, alors que le journal l’Action Française n’existe pas encore, cherche à convaincre le public antisémite et plébiscitaire que la question du « Que faire ? » doit être résolue avant celle du « Comment faire ? ».
Maurras veut aussi « faire réfléchir quelques lecteurs sur trois ou quatre points essentiels ». Il les énumère ainsi :
1°) l’intérêt général français ne sera jamais bien servi, sera même toujours trahi par un pouvoir soumis à l’élection ;
2°) les grands événements politiques ont toujours été déterminés par une minorité énergique ;
3°) il existe un programme qui répond aux vœux essentiels des meilleurs, des plus éclairés, des plus désintéressés de nos patriotes ; c’est le programme royaliste […]
4°) il ne faut point mépriser les théories, mais examiner si elles sont justes. [1]
Après les trois premières lettres de Maurras à Edouard Drumont, Georges Thiébaud s’est invité dans le débat en prônant « la solution républicaine » (article publié dans la Libre Parole le 12 décembre 1902). Thiébaud, proche de Déroulède et de Drumont, estimait que la solution à la crise traversée par la République était de faire élire son Président au suffrage universel.
Dans sa 4e lettre à Drumont, le 26 décembre suivant, Maurras répond longuement à Thiébaud[2].
La logique républicaine
Maurras ne croit pas « à la bonté, à la souveraineté, à l’infaillibilité du suffrage universel ». Le plébiscite (ou le recours au suffrage universel pour désigner le Chef de l’Etat) ne lui apparaît que comme une des conséquences de la logique républicaine :
Personne n’ignorait que la doctrine et la logique de la République réclament le plébiscite. Mais cette logique et cette doctrine réclameraient bien d’autres choses !
Est-ce que la liberté républicaine ne veut pas logiquement l’anarchie ?
Est-ce que l’égalité républicaine n’exige pas logiquement le partage des biens ?
Est-ce que la fraternité républicaine n’implique pas logiquement l’abolition des frontières ?
Quand on s’occupe de pourvoir au salut public, on ne recherche pas le logique, mais l’utile, mais le bon.
Thiébaud fait consister la République dans le suffrage universel direct : il veut y faire élire les sénateurs et le Président ; mais, je l’en prie, pourquoi pas les juges, les préfets, les percepteurs, les officiers et les curés ?
Hélas ! pour généraliser, pour intégraliser ainsi la République et le suffrage universel direct, il faudrait être satisfait de leurs produits partiels.
Pour le moment, note Maurras, le « vieux parti républicain rejette le plébiscite parce qu’il n’en a pas besoin pour se maintenir ». Mais, le jour où il le jugera nécessaire, il l’instituera, sûr de l’emporter avec ses relais bien établis – « l’administration et la fortune mobilière, la bureaucratie et l’argent, des porte-plume et des porte-voix ».
Au passage, mais on comprend bien que ce n’est pas une considération secondaire, Maurras explique pourquoi il est facile de « tromper » les électeurs :
La France contemporaine se décompose en trois fragments :
1°) Ce parti de l’Etranger qui sait ce qu’il veut et qui le veut bien ;
2°) Une masse amorphe, apathique, affairée, qui restera indifférente jusqu’à la catastrophe, étant presque sans opinion, étant presque sans inquiétude ;
3°) Un grand nombre d’honnêtes gens, de vieux Français, souvent aisés, quelquefois riches, véritable élite morale et mentale du pays, mais désorganisée, divisée, indécise. Minorité par rapport à la grande masse, elle forme une majorité écrasante par rapport au petit ramas de Métèques, de Juivaillons et de Huguenots dont elle est pourtant la sujette, faute de savoir au juste ce qu’elle veut, ou faute de vouloir ce qu’elle sait fort bien.
Éliminer la « dictature élective »
Maurras souligne le phénomène d’inversion qui est constitutif du suffrage universel : alors que les citoyens sont censés exercer leur liberté en votant pour tel ou tel candidat, une fois l’élection passée c’est comme s’ils s’étaient livrés pieds et poings liés aux élus. Ils deviennent impuissants à empêcher les décisions prises en leur nom ou les lois votées par leurs représentants. Mais ce peut être aussi une dépendance réciproque, une sorte d’esclavage mutuel. Maurras parle d’une « dictature élective » (celle exercée par les maires ou députés, demain celle du Président) qui reste néanmoins « esclave de l’opinion ».
Seul un « système héréditaire » peut « éliminer toute dictature élective ». Le système héréditaire rend le patrimoine « inné dans le cœur des rois » dit Bossuet, que Maurras cite en ajoutant : « un prince héréditaire est contraint, par sa position, à incarner tous les intérêts nationaux. »
L’intérêt de l’Etat et l’intérêt de la nation se conjuguent :
…le prince, en concentrant dans ses Conseils toute autorité politique, affranchirait les citoyens des politiciens et des bureaucrates. L’Etat délivré de la tyrannie parlementaire assumerait toute son immense tâche d’Etat ; mais il cesserait, d’autre part, de se mêler de ce qui ne le regarde point. Il se contenterait de protéger les particuliers contre les Juifs, contre les marchands d’or et de papier. On pourrait décentraliser les communes et les provinces, rendre aux associations leur liberté ancienne, qui dans l’ancienne France fut prodigieuse, donner aux corps de métiers la faculté de posséder et de gérer leurs biens sans vaine tracasserie, affranchir et doter le prolétariat : bref, rendre l’initiative et l’activité à la multitude de nos petites républiques locales et professionnelles, fédérées entre elles et placées sous l’autorité protectrice du roi, centre vivant de l’unité de la nation.
Infléchir l’antisémitisme
Dans ces six « Lettres à Edouard Drumont », Maurras aborde à plusieurs reprises la question juive. Dans sa première Lettre, le 19 novembre 1902, il remercie Drumont pour La France Juive, « grand livre » qui a éclairé ses dix-huit ans (le livre est de 1886) et qui a apporté « la doctrine entière de l’Antisémitisme ». Le nationalisme, estime Maurras, est redevable à Drumont d’ « une méthode : l’Offensive ».
On ne reviendra pas, ici, sur l’antisémitisme maurrassien, et son évolution. Il faut lire ce que Maurras écrit des Juifs en 1902 et 1903 sans oublier que cela n’a point été écrit en 1945 ou aujourd’hui.
On relèvera simplement, dans la 2e lettre à Drumont (le 26 novembre 1902), l’infléchissement que Maurras souhaite donner à l’antisémitisme de Drumont. Avec des formules abruptes qu’on ne peut plus employer aujourd’hui, il affirme : « Haïr le Juif et le Métèque c’est aimer la France comme il faut l’aimer en un temps où elle est partagée entre le Métèque et le Juif. Quand on nie ce qui nie la France on affirme donc celle-ci. »
Maurras, pourtant, affirme qu’on ne peut fonder une politique sur la haine. « Je me demande seulement, et surtout, mon cher Maître, je vous demande si notre Offensive antijuive, si la cause de l’indépendance française, si enfin l’heureuse révolution à laquelle nous travaillons ne serait pas singulièrement hâtée et mûrie, le jour où vous complèteriez votre programme critique par un programme affirmatif ; vos doctrines de juste haine, par une doctrine de désir et d’amour. »
Il faut un programme positif, dit Maurras :
Quand nous l’invitons [le peuple] à combattre une tyrannie que ses instincts héréditaires détestent, est-il tout à fait impossible de présenter à sa pensée l’image de quelque organisation nationale qui puisse succéder à la République des Juifs ?
[…] Une image bien définie du pouvoir français à venir contribuerait à remplacer l’idée de la puissance juive. Ce qui est, ce qui peut, ce qui règne a tant de prestige ! Mais ce prestige est composé, en grande partie, de la timidité des masses devant l’inconnu. On ne saurait trop préciser, affermir, dessiner les contours de la Société qu’on souhaite : la troupe humaine a si grand peur de se réveiller sans abri !
L’antisémitisme était l’élément principal du combat de Drumont, il ne sera jamais central dans le combat de Maurras. Ses Lettres à Drumont, en 1902 et 1903, ont marqué même, en un certain sens, la mort de l’antisémitisme comme fondement d’un combat politique en France. L’« Offensive » lancée par Drumont, malgré ses mérites, est insuffisante. Maurras a plaidé pour un « programme positif » : Définissons-nous à nous-mêmes ce qui est désirable, ce qui est utile, ce qui est bon pour la renaissance, la durée et la prospérité de la France.
Yves Chiron
---------------------
[1] Charles Maurras, préface inédite aux Lettres à Edouard Drumont (Archives privées).
[2] Maurras avait préparé une édition, corrigée, de ses six lettres à Drumont, et rédigé une préface. La brochure n’est jamais parue. Nous citons la 4e lettre d’après cette édition révisée inédite.